Yaron Herman
Heureux ignorant, j’ai la chance de vivre comme autant de révélations mes premières rencontres avec de grands artistes. L’empreinte qu’ils laissent alors sur ma mémoire vierge s’enfonce avec le même craquement léger que le feraient des pas sur la neige nouvelle, la sensation d’un silence de velours, caressant et habité. Je prends alors le temps de laisser s’imprimer en moi sans préjugé la musique de ces nouveaux mondes tandis que, tout autour, s’affairent les cliquetis de mes amis photographes. L’attente aussi est un luxe.
J’ai choisi, une fois n’est pas coutume, le côté cour. C’est donc par le pas de deux de Bastien Burger et Ziv Ravitz que j’entre dans la danse. Deux volcans, de lave animale. Le premier tord sa basse comme on débourre un jeune étalon, avec l’autorité des guerriers-sorciers. Le second chevauche sa batterie comme on flatte un attelage, le buste en avant, le bras tiré en arrière dans l’attente du claquement de fouet. La musique frémit, renâcle, frissonne, se suspend d’un coup au passage d’un océan, éclabousse des deux sabots en reprenant terre. Les deux musiciens chantent, des musiques sans paroles portées par un vent lointain, l’écho d’une cavalcade silencieuse. Et puis, le silence se fait. Le crach-barrière s’est vidé de ses troupes, seuls restent les dessinateurs. Et le piano.
Et le piano chante, comme une berceuse, le fredonnement qui seul peut accompagner le chant du feu sans briser la magie de la lumière. Un art d’habiter l’instant qui devient éternité.(1) Yaron Herman est devenu l’étincelle, cette grâce qu’il décrit comme quelque chose qui nous appartient et qui ne vient pas de nous. C’est le sens du Yod - la lettre « Y »(2) de la kabbale - ce point très concentré sur lequel Dieu s’est contracté avant de se fragmenter, l’avenir à l’état pur.
L’instant à duré une éternité…ou un instant - je ne saurai dire. Je réalise, en entendant leurs instruments se poser sur ce chant comme des pétales autour du pistil, que les musiciens sont revenus. Les voix chantent à nouveau, Bastien Burger sculpte sur son mood d’irréelles mélopées, Ziv Ravitz enveloppe ses percussions d’une cocon synthétique qui froisse l’espace comme la membrane d’une chrysalide. Un frémissement saisit le théâtre; tout s’éveille à nouveau, dans un bourgeonnement jaculatoire. Dans les mains des musiciens, les rênes piaffent, la terre s’impatiente. Du lumineux Yaron Herman, la musique coule, éternelle. Parce qu’elle révèle Ce qui vit en lui, elle rejoint Ce qui vit en nous.
(1)« Si on considère l’éternité non pas comme du temps infini mais comme l’absence du temps, alors celui qui vit dans le présent vit dans l’éternité». (Le philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein)
(2) « Y », le titre du dernier album de Yaron Herman
Bastien Burger & ZivRavitz