Soirée du jeudi 27 juin 2024 Louis Matute Large ensemble + Ibrahim Maalouf & Trumpets of Michel Ange

Soirée du jeudi 27 juin 2024 Louis Matute Large ensemble + Ibrahim Maalouf & Trumpets of Michel Ange

Louis Matute Large Ensemble. La ligne claire

Marquise Knox. 10 juillet 2018. Jazz à Vienne. François Robin

Crayon et encre blanche sur papier Kraft. A3

Andrew Audiger, Louis Matute, Zacharie Kzyk et Léon Phal.

À vos marques, prêts, partez !

Mes jeux olympiques ont commencé, et le peloton des photographes, devant moi, m’a déjà mis une belle longueur. Devant ma planche à dessin, tout devient flou. Calé à jardin contre le crash-barrière, mon champ de vision est continuellement traversé par des bras, des appareils, des silhouettes, toute la gestuelle des photographes de concert qui se bousculent vers le centre de la scène. En arrière-plan, l’image des artistes est fugace, comme balayée sur la vitre d’un pare-brise – « Tu m’vois, tu m’vois pas ! » Difficile de saisir quoi que ce soit. Alors commence mon patient travail de mémoire. Repérer les lignes, comprendre les attitudes, saisir les traits des visages, esquisser une composition en effleurant le Kraft au rythme de l’œil pour garder une trace de cet intense travail du regard.
Je regarde mon papier ; pour tout autre que moi, ce n’est qu’un illisible gribouillis, mais tout y est. Sur ce matériau de mémoire, il ne reste plus qu’à tracer la ligne claire (1) – l’encrage, diraient les illustrateurs – ce trait définitif qui vient se poser sur le bleu et qui va faire naître le dessin. Bien sûr, il arrive que le portrait surgisse d’un seul coup – un coup de chance. Mais le plus souvent il faut avancer depuis ce travail de fondation tout en gardant la légèreté d’un échafaudage de bambou. C’est ainsi que le dessin peut rester vivant, solidement habité par la mémoire de ce qui l’a précédé, une fleur sur la peau du buisson.
Mémoire ? Héritage ? L’un et l’autre transparaissent de toute évidence dans la musique du guitariste Louis Matute. Le déhanché est latin, sans aucun doute : continuel sautillement intérieur – les claviers d’Andrew Audiger – virevoltant autour d’une basse malicieusement tranquille – Virgile Rosselet – avec le ronflement de la marche impérieuse du batteur Nathan Vanderbulcke. Les racines honduriennes du compositeur suisse ne se cachent pas. Pas plus que l’appel de la saudade, cette délicieuse nostalgie, une envie d’ailleurs (2) que le guitariste helvète distille au fil de ses compositions. Mais même si les racines sont anciennes – on peut invoquer aussi une appétence pour les polyphonies de la Renaissance – les six jeunes musiciens du Louis Matute Large Ensemble sont résolument contemporains, et cette apparente dichotomie crée une douce euphorie, le sentiment d’une ligne claire – toujours mélodique – qui survole le tissu rythmique. Sur le foisonnement d’une forêt primaire, la guitare de Matute fleurit comme autant de lucioles, gambadant sur la crête de ses montagnes suisses. Il laisse volontiers la part belle à ses soufflants, le saxo tranchant de Léon Phal ou la trompette spatiale de Zacharie Kzyk, capables de relayer avec une souplesse féline son numéro d’équilibriste.
Et puis, soudain, tout s’arrête. Suspendus au-dessus de rien, ils ont quitté les rivages, envolés au-dessus du tumulte. Et c’est comme une aile d’oiseau qui flotte dans l’air des cimes, un temps éternel que seul permet le rêve ou la méditation. Les doigts de Louis Matute effleurent les cordes, juste ce qu’il faut d’élan pour un petit battement d’ailes, pour aller jusqu’à la crête suivante, là où les aigles ou les condors, seuls, peuplent les immensités.
En-dessous, dans le brouhaha de la vallée, le théâtre antique continue de pulser.

(1) La ligne claire : terme proposé en 1977 par le dessinateur néerlandais Joost Swarte pour définir le langage graphique issu de l’école belge de bande dessinée issue du journal Tinin, avec pour chef de file Hergé.

(2) La saudade, du portugais, poésie du fado selon Fernado Pesoa. La description est empruntée à sa définition dans le dictionnaire Larousse.​

Marquise Knox. 10 juillet 2018. Jazz à Vienne. François Robin

Illustration du « coup de chance »

Endea Owens
au concert d’Ibrahim Maalouf

Crayon noir & encre blanche sur papier Kraft. A3

Marquise Knox. 10 juillet 2018. Jazz à Vienne. François Robin

Ibrahim Maalouf