5 juillet 2024. David Krakauer & Kathleen Tagg, Caravan Palace. On veut danser !

5 juillet 2024. David Krakauer & Kathleen Tagg, Caravan Palace. On veut danser !
Marquise Knox. 10 juillet 2018. Jazz à Vienne. François Robin

Kathleen Tagg, Jerome Harris, Martin Shamanpoor, Yoshie Fruchter, David Krakauer & Sarah MK le 5 juillet 2024

 

Soudain, le visage du gros ours s’illumine :

« Mes amis, quel rythme ! Quelle cadence ! »

Bagheera n’en croit pas ses yeux : alors qu’ils cherchent à tirer Mooglie des pattes du Roi Louie, Baloo ne l’écoute déjà plus. Ensorcelé par le swing ravageur de la colonie de singes, il s’en va rejoindre la fête en dansant.

Rien à faire, s’il y a bien une chose qui peut rassembler les êtres humains - ou les personnages anthropomorphes du film de Disney (1) - c’est la danse. Et que ce soit pour la polka, le calypso, la hora(2) ou la square-dance, chaque peuple a la sienne, et chaque danse a sa musique. C’est comme un étendard qui traverse le monde, capable de rassembler la diaspora dès les premières mesures. C’est dire si le pari de l’Américain David Krakauer et de la Sud-Africaine Kathleen Tagg était pertinent. En choisissant, dans leur engagement pour la fraternité, de brasser toutes ces identités dans une même musique syncrétique, ils créent un langage universel qui passe par les chaussettes. Leur recette ? Prenez des musiciens cosmopolites - le percussionniste iranien Martin Shamanpoor, le bassiste noir-américain Jerome Harris, la chanteuse et rappeuse canadienne Sarah MK, le oudiste et guitariste Yoshie Fruchter – saupoudrez d’une clarinette klezmer explosive – celle de Krakauer, époustouflante ! – et liez le tout avec les claviers, loops et nappes électro de Tagg. Vous obtiendrez une mixture irrésistible, enivrante, qui ferait danser même les pierres du théâtre antique. De son propre aveu, le clarinettiste virtuose était pourtant assez éloigné à ses débuts de la musique klezmer, mais ses racines de juif polonais ont fini par le rattraper et - de cette musique des peuples du voyage - il a choisi la fête. Donner du bonheur. Ses complices ne sont pas en reste, particulièrement Sarah MK qui joue à merveille son rôle de taxi-driver, mélangeant malicieusement son flow de rap aux danses héritées d’un autre siècle. Et ça marche ! Il faut écouter son invite à la danse pour un quadrille endiablé dans le North Country Square Dance (3). À croire que nous sommes tous Québécois. Le public, en tout cas, se glisse avec délices dans ce généreux melting-pot, une étrange sensation de vintage électro, un retour en DeLorean dans un futur étrangement familier.  Rien à faire, on veut danser !

C’est probablement la grande crise de 1929 qui a favorisé l’émergence du swing, un besoin de se donner un peu de gaité, un divertissement salutaire, une musique faite pour danser qui va essaimer sur toute la planète, portée - quinze ans plus tard - par les ailes de la seconde guerre mondiale et les V-Disc, ces 78 tours distribués gratuitement aux soldats américains. Auparavant, cette musique voyageuse avait déjà rencontré d’autres nomades, venus de l’Est, cette fois, et qui vont créer en France un nouveau style musical : le swing manouche. Django Reinhart et Stéphane Grapelli lancent dans les années 30 cette musique des caravanes, « sans tambour ni trompette », qui va connaître le succès.

De caravane, il n’y en a plus guère en 2005, lorsque Arnaud Vial, Charles Delaporte et Hugues Payen - trois compositeurs de musique électro – lancent un nouveau genre musical : l’électro-swing. Alors que la vague d’électro-jazz commence à s’essouffler, ils associent à la guitare manouche des beats électro, le même ingrédient que David Krakauer avec la musique klezmer. Avec la même réussite. Rejoints par la chanteuse Zoé Colotis, Caravan Palace va enchaîner les succès, en France, puis à l’international.

Mais si on veut danser partout, l’époque n’est plus à la danse de couple. Finis les sautillements sportifs du lindy-hop (4). La nouvelle dictature des dancefloors veut de la danse de masse, qui danse comme elle marche, sur les premiers temps. Ça swingue toujours, mais au pas - lourd et puissant. Baste, fi de la légèreté, diront certains, l’essentiel c’est le public. Et ma foi, ils ont probablement raison : on veut danser ! Mais à sentir la vibration alarmante du crash-barrière dans mon dos, je crains qu’à la fin de la fête la scène du théâtre antique ne subisse le même sort que le temple du Roi Louie. Et moi dessous.

Shedida bap dou babadoudoubap douba douba

 

(1) Dans le Livre de la Jungle, dessin animé de Walt Disney sorti en 1967

(2) La hora : danse traditionnelle collective en rond. Typique des Balkans mais aussi d’Israël et jusqu’aux rives de la Mer Noire.

(3) Voir la vidéo

(4) Lindy-hop. Lire ma chronique du 10 juillet 2022. « Sur les ailes du jazz N°4 ».

 

Marquise Knox. 10 juillet 2018. Jazz à Vienne. François Robin

Caravan Palace (Coll particulière)