Julie Campiche
Concert du lever du soleil au Belvédère de Pipet
Acrylique sur toile. 100x100cm.
Ouvre mes yeux, Seigneur
Inondé du premier soleil, le pic de Très Estelles s’est allumé face à nous. Un spectacle qui ne cesse de m’émerveiller ! La voix cahotante mais ferme du Père de Chabannes entonne la première louange du jour :
Ouvre mes yeux, Seigneur
Aux merveilles de Ton amour
Je suis l’aveugle sur le chemin
Guéris-moi, je veux te voir (1)
Je contemple le visage admirable du vieux bénédictin, tourné vers les montagnes : le nez busqué, les yeux très clairs, mi-clos. Le léger vent qui s’éveille dans la vallée balaye doucement la courte frange de ses cheveux blancs. Cette prière des Laudes (2), ce chant de louange face aux montagnes – une salutation au soleil, diraient d’autres - c’est comme une immense respiration, un abandon dès la première heure à la beauté du monde. Comment ne pas être saisi par ce sentiment de Plus-Grand qui me dépasse ? À mes côtés, les miens sont là. Tous. Même celui qui s’est envolé l’année dernière. Et chaque fois que je revivrai un lever de soleil, je repenserai à cet instant de parfaite connexion avec le monde, cette profonde harmonie, la contemplation du massif du Canigou qui a forgé mon adolescence quand tout aurait pu s’écrouler.
Initié en 2021, à l’époque où la pandémie obligeait à l’invention, le concert au lever du soleil est un moment précieux, une douce parenthèse dans le maelström du festival. Au bord du belvédère, un petit abri a été dressé contre la balustrade pour protéger la harpe de Julie Campiche de la petite radée qui menace. La musicienne a déployé sous ses pieds un chatoyant tapis persan qui semble flotter au bord du vide. Aux rutilances de l’instrument d’orchestre, elle a préféré la ligne épurée d’une Américaine. Face à mon chevalet, la table d’harmonie s’offre en un long pétale de chair abricot, posé comme une fleur sur l’épaule de la jeune femme. Plantée comme une épingle d’ébène, la colonne se dresse dans le petit jour, une flèche d’obsidienne. Julie aime les contrastes.
« Lorsqu’il y a une belle musique douce, confit-elle, j’ai besoin de quelque chose qui grince. » (3)
L’harmonie n’est pas la tiédeur. L’actualité déverse à chaque instant sa part d’énormités, il y a de quoi être submergé ! Alors, la harpiste convoque les machines, samples les bruits, phrases, cris volés au monde, chante aussi pour rassembler dans sa musique une humanité qu’elle sait meurtrie, la coucher sur le berceau de son instrument comme un enfant que l’on console.
« C’est un hommage à toutes les berceuses qui ne peuvent pas être écoutées, dit-elle. »
Sur son tapis de prière, elle nous emmène dans le jour nouveau, unis avec elle dans cette louange universelle du petit matin.
Anne Berry, Krystie Kristmanson & Mathilde Vrech.
Concert aux bougies à St-André-le-Haut
Acrylique sur toile. 80x80cm.
Ouvrir un espace sacré, c’est bien l’intention de Kyrie Kristmanson. Et l’Eglise de St-André-le-Haut s’y prête parfaitement pour le concert du soir. Plus encore, des bougies, par grappes, éclairent seules la scène, nimbant les trois musiciennes dans une lumière tremblante, soulignant visages et instruments d’un caressant clair-obscur. La Canadienne (4) est venue en femme-troubadour, chantre d’une déesse Flora à qui elle dédie son dernier album (5). Renaissance, nature, floraison, le vocabulaire féminin est d’un romantisme assumé, et le choix de ses partenaires n’a rien d’anodin. Dans le tableau cuivré, les chevelures des trois jeunes femmes semblent danser doucement comme celles des modèles préraphaéliques. Les cordes - la guitare de Kyrie, le violon de Mathilde et l’alto d’Anne (6) – ronronnent doucement, flattées par la caresse ou le pincement des vestales. Dans ce folk cosmique, la voix de Kyrie fait merveille, limpide et sensuelle. Lorsque ses deux consœurs la rejoignent, nous entrons doucement dans la nuit, originelle et prophétique, un sacré qui s’installe doucement sans dire son nom. Car le bouquet de Kyrie est d’humanité, ses fleurs d’étoile, et dans cette mystique poétique elle saisit chacun qui s’abandonne. « Croyez-vous ? demande-t-elle ». Dans la pénombre chatoyante de l’église, les voix voyagent, sans micros, Complies (1) profanes et bienveillantes. La nuit est tombée. Dehors, pour qui veut bien lever les yeux, les premières étoiles entrouvrent l’univers.
(1) Paroles de Michel Scouarnec
(2) Laudes et Complies : les prières du matin et du soir dans la liturgie des Heures, chez les Chrétiens.
(3) Ecouter son entretien avec Guillaume Kosmiki
(4) Native d’Ottawa au Canada, elle vit en France depuis douze ans.
(5) « Floralia », paru en mars dernier.
(6) Mathilde Vrech (violon & voix), Anne Berry (alto & voix). Deux musiciennes remarquables.
« De l’aube claire jusqu’à la fin du jour » : Emprunté à la chanson de Jacques Brel, « Les vieux amants ».