Angélique Kidjo.
Concert du 9 juillet 2018. Jazz à Vienne
Crayon noir & Posca sur Kraft
Noir est MA couleur. J’aime tout en Elle : le grain, le velours, le reflet, le silence - beaucoup - et l’espace, surtout. J’aime, sur sa peau, l’émotion du premier déchirement, le premier trait de craie blanche, la première caresse du pinceau qui viennent dessiner le bord d’une joue, d’une lèvre, d’une hanche. Ce premier copeau de lumière, c’est pour moi un instant de pure grâce, sensuelle et mystique à la fois. Je peux connaître l’angoisse de la feuille blanche. De la feuille noire, jamais! Je peux, à force de charbonner, obscurcir un papier immaculé jusqu’à le rendre illisible -Trop tard. Mais peindre avec la lumière est un acte amoureux. Il n’y a jamais trop de caresse. Juste alors une lumière un peu trop forte qui ramène le sujet à son premier mystère. Noire est la couleur sous mes mains, celle qui habite mes paupières closes lorsque je modèle l’argile, l’obscurité lumineuse qui entoure les amants et qui donne la parole au frisson. « Je suis noire », dit la Bien-Aimée du Cantique-des-Cantiques. Noire est Sarah, patronne des Gens du Voyage. Noire, la vierge de Czestochowa, l’icone drapée d’or fin, vénérée dans cette rude Silésie où les hommes ont creusé des cathédrales dans les mines de sel.
Car la vérité est à l’intérieur, le diamant brut, la vraie nature. De Salomon ou de Makeda, qui détient la Sagesse? Le Roi d’Israël ou la Reine de Saba? Certainement les deux, pour Ibrahim Maalouf et Angélique Kidjo qui ont choisi cette rencontre légendaire pour sceller leur première création commune. Mais pour ce qui est du dernier mot, il appartient incontestablement à la reine noire. D’ailleurs, le prolixe trompettiste ne le lui dispute pas. Mieux, il enchâsse la voix de la Béninoise d’un matériau d’opéra, orchestre à cordes pour les reflets, rythmique et percussions pour le ciselé, avec par endroit, la fulgurance de sa trompette qui fait vibrer le tableau, comme la flamme d’une torche révèle le silence de l’or des icônes dans l’obscurité des monastères slaves. Dur est l’ébène sur lequel se brisent mes ciseaux. Tranchante est la voix d’Angélique, qui taille dans la nuit étoilée du théâtre antique, laissant à d’autres la séduction de l’artifice. Sertie dans son costume-bijou, elle illumine la scène comme une nouvelle Aïda, cette princesse-esclave dont Verdi fit son chef-d’œuvre, de l’enivrante épopée des trompettes au bouleversant chant du tombeau. Ibrahim aussi sait distiller les extrêmes : le fracas de la lumière comme le murmure de l’obscurité. C’est dans ce dernier que je le préfère.