Hermeto Pascoal
Concert du 8 juillet 2018
Crayon noir & Posca sur Kraft
« Haben Sie eine Trompete in G? » Pour la énième fois, mon père répète la question, écumant en vain les magasins de musique de Munich. C’est qu’il a été investi de cette mission d’importance par une amie religieuse : compléter son instrumentarium « Orff » (1) pour monter avec des enfants la Symphonie des Jouets. Et sur la transcription du génial compositeur et pédagogue munichois, il y a cette portée, au milieu des flûtes et carillons: « Trompete in G ». Mon père comprendra en rentrant qu’il aurait pu trouver cette merveille dans le premier bazar venu, un de ces coincoins en plastique fluo vendu pour deux francs. Car c’était bien l’esprit d’origine de la pièce (2): mélanger à un « vrai » orchestre, des jouets : crécelle, appeaux, tambour, sifflet…et cette fameuse trompette en sol. Mais à force de sanctuariser la musique, on en fait une chose sérieuse; on perd son émerveillement premier, la jubilation des mirlitons, crincrins et autres batteries de cuisine, ces instruments de bouts de ficelle dont la première vertu est qu’on les a sous la main. L’enfance de notre fratrie est remplie de flûtes en pvc, guitares en carton, maracas en pot de yaourt, arrosoirs-rossignols, kronembophones (3), cuillers et pailles-chalumeaux. Sans oublier de mémorables « Danube bleu » joués à plusieurs - avec un petit coup dans le nez - sur les verres en cristal des tables de mariage. Pour la musique, on se débrouille toujours, on bricole, on expérimente, on se bidonne surtout devant des résultats souvent hilarants. La musique est un art vivant.
Un art de bon-vivant, même, à en croire le concert d’Hermeto Pascoal. Avec ce sorcier albinos aux allures de Père Noël, on couine, on éructe, on glougloutte, on se fait des messes basses pour décider de la suite. Attention, derrière tout ça, il y a la technique instrumentale irréprochable de ce génial multi-instrumentiste et de son grupo. Il y a aussi tout un univers baroque baigné de musique brésilienne. Passé la première sidération - c’est une blague? - on assiste à un complet retournement du public, euphorisé par cette musique iconoclaste et festive, hilare devant les bouffonneries de l’octogénaire et l’inouï bestiaire de Fabio Pascoal aux percussions (4), ou subjugué par les longs solos du flûtiste Jota P. Il y a enfin cette interprétation improbable de « Round Midnight » dans une bouilloire baveuse, et la capacité de faire passer l’émotion par-delà le ridicule, oublier l’eau qui dégouline le long de la barbe du prophète pour entrer dans une bienheureuse gravité, une profondeur qu’on pourrait croire réservée à la musique dite sérieuse. Ouvrez donc les mausolées : tous les chemins mènent à la musique. Il en est d’elle comme du bonheur, il n’y a pas de parfait mode d’emploi. Une seule certitude: on bricole.
(1) Carl Orff (1895-1982) a crée - avec la chorégraphe Dorothée Gunther, la musicienne Gunild Keetman et la danseuse Maja Lex - la pédagogie du Orff-Schulwerk qui prône un musique à vivre qui suit l’évolution de l’enfant et favorise la découverte.
(2) Longtemps attribuée à Hayden ou Léopold Mozart, cette composition semble être l’œuvre du moine bénédictin Edmund Angerer (1740-1794).
(3) du grec « phonè » (la voix, le son) …et de la populaire marque de bière. Ensemble de petites bouteilles plus ou moins remplies pour constituer une gamme, et dans lesquelles on souffle comme pour une flûte de pan
(4) Cochons en plastique, muppets, sifflets multicolores, poulet en caoutchouc (j’ai un permis pour ça)
Hermeto Pascoal & Grupo.